Etudes anglaises: Flirting with form – Experimental poetry and contemporary audacity

issue #2, 2012

order from Klincksieck, Paris.

Penelope GALEY-SACKS : Introduction. A Field of New Voicings

ARTICLES

Charles BERNSTEIN and Penelope GALEY-SACKS: Poetry's club-foot: process, faktura, intensification (an interview)

Marie-Dominique GARNIER: Madeline Gins’s Ors Poetica Or Reading "Critical Beach" (Helen Keller Or Arakawa, 1994)

Hélène AJI: Un(decidable), Un(creative), Un(precedented), Un(readable), Un(nerving): Christian Bök, Craig Dworkin, Kenneth Goldsmith and Vanessa Place

Penelope GALEY-SACKS: Songlines and Entropy in Ron Silliman’s Ketjak

John SEARS: The Horizon of the Poem: On Matthew Cooperman and Ecopoetics

Axel NESME: Etant Donné(e) Rachel Blau DuPlessis: Intertextuality and Intermediality in Drafts 1-38, Toll

Geneviève COHEN-CHEMINET : La matérialisation de la marge dans la poésie américaine contemporaine

Dominique DELMAIRE: The love poetry of George Mackay Brown, or “The Escape of the H(e)art”


ÉTUDE CRITIQUE

Penelope GALEY-SACKS: (Charles Bernstein on) Language and L=A=N=G=U=A=G=E

 


Marie-Dominique GARNIER - Madeline Gins's Ors Poetica Or Reading "Critical Beach" (Helen Keller Or Arakawa, 1994)
Except for an isolated attempt at translating one of Arakawa and Gins’s early essays, To Not To Die (Pour ne pas mourir), the poetry of Madeline Gins has not, so far, been translated into French—although her first volume Word Rain was published to great acclaim in 1969. Gins’s 1994 Helen Keller Or Arakawa belongs to no known genre. Part-“novel” part-aesthetic philosophy and survival manual, it belongs to the genre-to-be of many-body biography, one in which bodies and their surroundings are treated as part of a common bioscleaving project. While “ecosophy” or “ecopoetry” might come to mind as ways of describing the sort of “atmospheric” connectivity Gins and Arakawa are seeking, both terms miss the radical novelty of their biopoetics. At work in Gins and Arakawa is a critique both of the “I” and of the “environment,” each being remodeled into a “sky-of-an-I” and a “surround” or an “atmosphere.” In the last “chapter” (or plateau) of Helen Keller Or Arakawa, a beach gone “critical” speaks a post-human, minor poetic tongue of its own. This essay addresses the “ecopoetics” of critical beach parlance—a beach devoid of any phenomenological horizon. Differential, repetitive, each throw of Gins’s poetic dice looks or gropes ahead in the direction of an exopoetics: a turning inside-out of the “innards” of language.
Mise à part la tentative isolée de traduire To Not To Die, un des premiers essais co-écrits par Arakawa et Gins, la poésie de Madeline Gins n’est pas, à ce jour, traduite en français — et cela malgré le fait que son premier recueil, Word Rain, ait été acclamé à sa publication. Le volume in-titulé Helen Keller or Arakawa ne ressortit quant à lui à aucun genre répertorié. Mi-« roman », mi-traité de philosophie esthétique et manuel de survie, cet « essai » poétique relève d’un genre inconnu, celui de la biographie à n-corps — biographie dont les corps et ce qui les entoure; relè-vent du même projet de « bioaderrance ». Si des mots-clefs tels que « écosophie » ou « écopoé-sie » peuvent a priori sembler en adéquation avec la connectivité de type « atmosphérique » que cherchent à construire Arakawa et Gins, ces termes restent l’un et l’autre en deçà de leur biopoé-tique d’un genre radicalement nouveau. Une double critique opère chez Gins et Arakawa : celle du sujet, et celle de l’environnement, l’un et l’autre revus et corrigés en « aire-de-je » et en « pa-rages » ou « atmosphère ». Le dernier chapitre (ou plateau) de Helen Keller Or Arakawa donne la parole à une plage devenue « critique », plage post-humaine possédant sa propre langue poé-tique mineure. Il s’agit dans le présent essai d’établir le profil « écopoétique » de cette plage par-lante — et dépourvue du moindre horizon phénoménologique. À chacun des lancers de ses dés poétiques, répétitifs et différentiels, l’écriture de Madeline Gins en appelle à un deve-nir-exopoétique — à une mise au grand dehors du dedans du langage.

 

Hélène AJI - Un(decidable), Un(creative), Un(precedented), Un(readable), Un(nerving): Christian Bök, Craig Dworkin, Kenneth Goldsmith and Vanessa Place
Attempting to account for the recent emergence of American Conceptual writing, this article picks on five terms that are involved in the preoccupations and theoretical statements apparent in the texts of Christian Bök, Craig Dworkin, Kenneth Goldsmith and Vanessa Place. “Undecidable” in-troduces the debate that presides over the publication of the anthology Against Expression, desi-gned as a manifesto to differentiate Conceptual poets from their Language predecessors. “Un-creative” analyses the stakes of a self-definition of the movement focused on new media and the vogue of digital writing in the winning over of the general public. “Unprecedented” deals with the literary filiation of these poets, a filiation which cannot be reduced to Minimalism in the visual arts but includes Modernist poets, and the procedural work of the Language poets. “Unreadable” theo-rizes the methods of Conceptual writing in the perspective of cultural critique, as détournement proves to be only one of the strategies to undermine established discourses. “Unnerving” con-cludes on the return of ethos and pathos in the context of a logocentric poetics so as to hypothe-size over the objectives of Conceptual writing.
Afin de rendre compte de l’émergence récente de l’écriture conceptuelle américaine, cet article met en jeu cinq termes qui sous-tendent les préoccupations et les déclarations théoriques for-mulées dans les textes de Christian Bök, Craig Dworkin, Kenneth Goldsmith et Vanessa Place. « Indécidable » ouvre sur la discussion qui entoure la publication de l’anthologie Against Expres-sion, pensée comme le manifeste susceptible de distinguer les poètes conceptuels de leurs prédécesseurs, les Language Poets. « Non-créatif » analyse les enjeux d’une autodéfinition du mouvement centrée sur les nouveaux media et la vogue de l’écriture électronique dans le but de conquérir un large public. « Sans précédent » aborde la filiation littéraire de ces poètes, filiation qui ne saurait se réduire au minimalisme plastique, car elle inclut les poètes modernistes, et la poésie à contrainte des Language Poets. « Illisible » fait la théorie des méthodes de l’écriture conceptuelle dans la perspective d’une critique culturelle, où le détournement se révèle n’être qu’une des stratégies mises en œuvre dans la sape des discours conventionnels. « Déstabili-sant » conclut sur le retour de l’éthique et du pathétique, dans le contexte d’une poétique logocen-trique, et propose quelques hypothèses sur les objectifs de l’écriture conceptuelle.

Penelope GALEY-SACKS - Songlines and Entropy in Ron Silliman’s Ketjak
Leaning on Ron Silliman’s Ketjak, this article demonstrates how the L=A=N=G=U=A=G=E poem defiantly questions the notion of readability. The logic behind flirting with ambiguous reference be-longs to a conscious ebbing of the narrative process structuring our perception of the spatial and the temporal. The unquantifiable “remainder” Barthes sees as inherent to any literary text takes on specific pertinence within the zap-code æsthetics of a poesis that seeks its grounding somewhere between Wittgenstein’s highly philosophical interrogation of language and meaning, and the intuitive yet complex en-chanting play of primitive ritual. The poem appears to sprout from the accidental or chance encounter of word with world. In an entropic fashion, it illustrates the highly organized, even mathematical growth of language itself, whilst following the musical logic of polyphony, the songline merging with the poetic.
Prenant à l’appui le Ketjak de Ron Silliman, cet article se propose de montrer comment le L=A=N=G=U=A=G=E poème conjure la notion du lisible. La logique qu’implique la rupture avec la référence littérale est liée à un reflux du narratif et, par conséquent, à la neutralisation de la per-ception linéaire spatiale et temporelle. Le reste non-quantifiable, que Barthes considère comme inhérent au texte littéraire idéal, assume une pertinence nouvelle au sein d’une esthétique de zap-ping qui se cherche dans l’entrelacs de l’interrogation philosophique du langage chez Wittgenstein et le jeu intuitif et en-chanteur du rituel primitif. Le poème semble surgir de la rencontre fortuite ou accidentelle du mot et du monde. Il illustre de manière entropique le développement organisé voire mathématique du langage, tout en suivant une logique polyphonique où la ligne de chant se mêle au poétique.


John SEARS - The Horizon of the Poem: On Matthew Cooperman and Ecopoetics
Matthew Cooperman’s poetry offers formally experimental engagements with insistent ecopoetic themes, understood as “habits” (playing on “habitat” and with all the Heideggerian implications of “dwelling”). This essay reads Cooperman’s poetry (in A Sacrificial Zinc, 2001, and DaZe, 2006) as carefully modulated explorations of the ecopoetic potentials of the poem. Topographical, cyclical and related tropes are traced through careful readings of individual poems to reveal patterns of connection and repetition. These are examined through analysis of the poetic activity of what Co-operman calls “topological maundering,” the process of movement of the eye and mind across poetic space.
La poésie de Matthew Cooperman propose au lecteur de participer à des expériences formelles qui exploitent des thèmes écopoétiques entendus comme autant de réflexes. Ceux-ci exploitent l’association en anglais des mots habits et habitat (avec toutes les implications heideggeriennes du mot habitation). Cet article interprète la poésie de Cooperman (dans A Sacrificial Zinc, 2001, et DaZe, 2006) comme -l’exploration du potentiel écopétique du poème. L’interprétation des poèmes met en évidence divers tropes topographiques et psychiques (connexions et structures de répéti-tion) en analysant ce que Cooperman appelle des « errances topologiques », c’est-à-dire le mou-vement de l’œil et de l’esprit dans l’espace poétique.

Axel NESME - Étant Donné(e) Rachel Blau DuPlessis: Intertextuality and Intermediality in Drafts 1-38, Toll
In Drafts 1-38, Toll Rachel Blau DuPlessis undertakes the task of mourning the I of post-romantic lyrical utterance to the benefit of an aesthetics of the fold which might afford the poet an escape from the gendered dichotomies that have shaped her heritage. The volume’s telos is to explore modalities of telling the loss of a unitary voice by confronting the reader with the demands of mul-tifold and polyglossic deciphering. As words are bereft of directionality and their paronomastic vir-tualities unfold, a textual space opens up where their “whirlwind” of poetic potentialities may “roar.” Blau DuPlessis’ project thus involves revisiting a number of intertextual as well as intermedial sites, entering into ironic dialogues with other poets, but also tracing the destiny of the gaze in order to restore the tension between the figural and the literal that is temporarily silenced by Du-champ’s work, thus allowing for the first person voice to be partially reclaimed. Blau DuPlessis’ own voice skirts the space between the critical and the poetic, which is why it hinges on a reeva-luation of such seemingly neutral signifiers as the pronoun “it” or the preposition “of.”
Dans Drafts 1-38, Toll Rachel Blau DuPlessis se livre à un travail du deuil, celui du « je » lyrique post-romantique, au profit d’une esthétique du pli qui permet au poète d’échapper aux dichotomies genrées qui forment son héritage. L’œuvre se donne pour telos d’explorer les modalités selon lesquelles la perte de la voix unitaire se conte et se compte en mettant le lecteur face aux exi-gences d’un déchiffrement multilingue, aux nombreux plis. Tandis que les mots une fois libérés de toute téléologie, leurs virtualités paronomastiques se déploient, s’ouvre un espace textuel où leur « tourbillon » de potentialités peut « rugir ». Le projet de Blau DuPlessis passe par le quadrillage d’un certain nombre de lieux intertextuels et intermédiaux : par le dialogue ironique avec les autres poètes aussi bien qu’en examinant le destin du regard dans les Étant Donnés de Duchamp pour rétablir la tension litéral/figural d’abord réduite au silence par l’œuvre de Duchamp, la première personne retrouve en partie sa voix. Quant à la voix de Blau DuPlessis, celle-ci côtoie la limite en-tre critique et poésie. Aussi la réévaluation de signifiants apparemment neutres, tels le pronom « it » ou la préposition « of », y joue-t-elle un rôle charnière.


Geneviève COHEN-CHEMINET - La matérialisation de la marge dans la poésie américaine contemporaine
À partir du constat de Bob Perelman dans The Marginalization of Poetry (1996), cet article envisage la manière dont la marge matérielle, iconique, générique et politique, structure la poésie américaine contemporaine. La lecture de deux textes fondateurs de Charles Bernstein, Artifice of Absorption (1987) et The Difficult Poem (2003) me conduit à l’hypothèse d’un renversement des positions de la marge et du centre, du dissensus et du consensus : l’avant-garde poétique prend appui sur la marginalisation de ses œuvres pour œuvrer sur tout le champ discursif à partir de sa marge matérielle. La marge de l’œuvre devient alors l’œuvre de la marge. Cette visée militante prospective conduit à s’interroger sur une poésie conçue comme action ou agir politique: comment le poème travaille-t-il une marge adjacente, un lieu d’adjacence et de frottement entre espace social et espace public, comment le poème installe-t-il une marge, un degré d’écart entre le dit et le dire dans le dispositif du poème mode d’emploi ?
Since Bob Perelman’s 1996 The Marginalization of Poetry, the opposition between margin and center has been renewed. This article argues that attention to material margins, be they iconic, generic or political, has turned them into fighting positions against center and consensus. This working hypothesis is based on a close reading of Charles Bernstein’s 1987 landmark Artifice of Absorption, and 2003 The Difficult Poem, which have turned margins into strategic weapons meant to besiege all social discourses. Artworks in the margins work the margin against the cen-ter. This prospective oppositional mode raises questions about poetry as constructedness and poetry as dissensus or political act: how do poems work on the margin between social and public spaces? How does poetry address the divide between the saying and the said? what is the impact of readymade forms like How To Do Manuals on intention and meaning in a poem?


Dominique DELMAIRE - The love poetry of George Mackay Brown, or “The Escape of the H(e)art”
George Mackay Brown claims that his poetry, which is mostly narrative or dramatic, contains no traces of himself. His lyric verse, usually presented as “authored” by other historical or fictitious poets and merely “adapted” by him, seems to be no exception. As to those very few love poems written in his own name, they shift back to a narrative mode that seems to leave little room for the expression of feelings. This essay aims to show that the very scenarios played out in these latter pieces disclose the speaker’s innermost desires and that the voice which is audible in them is un-mistakably Brown’s own. Because it is also very similar to the voice of those lyric poems suppos-edly written by others, it appears in hindsight that the latter are but personae through which the poet expresses his personal emotions.
La poésie de George Mackay Brown, pour l’essentiel narrative ou dramatique, ne contiendrait, à en croire son auteur, aucune trace de celui-ci. Ses poèmes lyriques n’échappent pas à la règle, puisque ils s’affichent le plus souvent comme ayant été « écrits » par d’autres poètes, historiques ou fictifs, qu’il aurait simplement « adaptés ». Les très rares poèmes d’amour composés en son nom propre s’avèrent basculer vers un mode narratif laissant apparemment peu de place à l’expression des sentiments. On s’efforce de montrer ici, d’une part, que par le biais des scénarios mis en place se révèlent les désirs enfouis du locuteur et, d’autre part, que la voix que ces poèmes donnent à entendre est indubitablement celle de Mackay Brown. Le fait qu’elle ressemble beaucoup à celle des pièces lyriques prétendument écrites par d’autres suggère après coup que les « auteurs » de celles-ci ne sont que des personae.

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